Un rituel annuel, les prix littéraires d'automne

Il n'y a pas moyen d'y échapper. Tous les media en parlent, en long et en large. Faut-il donc en rajouter, et commenter encore les prix littéraires d'automne ? Rituel que l'on dit bien français, cette course aux prix à l'issue de la rentrée littéraire est tout compte fait un rituel franco-belge, car nous en sommes aussi friands, jusqu'à l'attribution du Prix Rossel en décembre.

Oui, nous en parlons ici, parce qu'on y trouve des livres de qualité, que les libraires ont aimés et défendus. On dira peut-être qu'à lire les résumés de ceux que nous retenons, certains d'entre eux sont des livres sombres. Détrompons-nous, ils apportent ce que peut apporter la littérature, une vie augmentée.

Parmi eux, des ouvrages en phase avec notre actualité. Ainsi du Prix Goncourt, Leurs enfants après eux, de Nicolas Mathieu, très beau et très lisible roman qui fait écho à cette déconstruction du lien social où s'empêtrent nos sociétés, dans ces régions oubliées où règnent le chômage et le désœuvrement, et souvent l'alcool. C'est là aussi qu'une jeunesse paumée, dont le livre déroule la vie sur quatre étés, rêve d'un ailleurs que très peu atteindront. Un roman que beaucoup de libraires avaient repéré à sa parution, le deuxième publié par Nicolas Mathieu, après Aux animaux la guerre, dont une série télévisée vient d'être tirée et sera prochainement diffusée sur France3.

En écho également à l'actualité, le Prix Femina, Le Lambeau, de Philippe Lançon, ou la lente et difficile reconstruction, au propre et au figuré, d'un rescapé de l'attaque de Charlie Hebdo. Un témoignage bouleversant, un livre dont "on sort soi aussi réparé", disait un lecteur, où le temps n'a plus la même dimension.
Autre livre très fort et auquel nous voulons donner une place, le Prix Décembre, François, portrait d'un absent, de Michaël Ferrier, hommage entre France et Japon, à un ami disparu en mer avec sa fille. Un tombeau à l'ami perdu.

Citons aussi le Prix Médicis, souvent le plus littéraire des prix, et qui n'a pas manqué de l'être cette année en couronnant Idiotie, de Pierre Guyotat, un auteur qualifié de subversif, par les thèmes évoqués, et par son écriture charnelle et crue, une langue réinventée qu'il a déployée déjà dans une vingtaine de livres. Idiotie traite de son entrée dans l'âge adulte, de 1959 à 1962. "Ma recherche du corps féminin, mon rapport conflictuel à ce qu'on nomme le "réel", ma tension de tous les instants vers l'Art et vers plus grand que l'humain, ma pulsion de rébellion permanente".

Enfin, nous voudrions citer celui que tout le monde attendait, et qui n'a rien eu. A moins que le Goncourt des Lycéens, dont le choix est toujours excellent, ne le rattrape : Frère d'âme, de David Diop. Un superbe roman, fort et bref, dont Sophie Creuz disait avec acuité dans L'Echo que "David Diop renouvelle non seulement le regard porté sur 14-18, mais aussi le point de vue et la langue". Le point de vue c'est celui d'Alfa Ndiaye, tirailleur sénégalais "engagé pas tout à fait volontaire dans la Grande Guerre". La langue, "une forme de chant mélodique qui emprunte à l'oralité de la tradition africaine".
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